COMÉDIE ITALIENNE

COMÉDIE ITALIENNE
COMÉDIE ITALIENNE

La comédie italienne est le seul genre cinématographique à pouvoir être comparé, pour sa richesse, sa fidélité à certaines lignes de force et son enracinement dans une tradition nationale, aux grands genres du cinéma américain, tels le western ou la comédie musicale. Malgré sa relative ancienneté, elle n’a été pourtant pleinement appréciée dans sa propre patrie que par l’effet d’un «choc en retour», dont sa diffusion en France est en partie responsable. Mais cette appréciation favorable a entraîné une nouvelle extension du genre, qui annonce peut-être une relative mutation.

Origines et composantes

L’expression même de «comédie italienne» prête à confusion. On a dit d’abord et on dit encore «comédie à l’italienne». Or, dans la péninsule, l’expression all’italiana est familière, voire péjorative. C’est une allusion à la routine, aux compromis, au laisser-aller qui caractérisent les Italiens, selon les étrangers et souvent selon les Italiens eux-mêmes. Elle était employée par les critiques du cru pour désigner des films sans prétention «artistique» ou politique, qu’ils exécutaient, quel que fût leur succès, en quelques lignes quand ils daignaient en rendre compte. Elle a même été, depuis, reprise par ironie dans certains titres.

Les origines du phénomène sont à chercher dans plusieurs traditions théâtrales qui se sont entrecroisées à partir des années vingt. Auparavant, le cinéma comique italien était réduit à la copie des modèles américains ou français. Ses seules traditions spécifiques étaient d’abord celle de la commedia dell’arte, jamais entièrement oubliée quant à ses types et à ses rituels d’intervention. (Curieusement, elle intéressa l’avant-garde futuriste en la personne du scénographe et dramaturge A. C. Bragaglia.) Celle ensuite de l’avanspettacolo , expression qui désigne les intermèdes comiques du music-hall populaire. Et enfin, à un moindre degré, celle de la comédie «bourgeoise» de la période mussolinienne, qui ironisait discrètement sur certains travers sociaux, tout en essayant d’imiter formellement la comédie américaine «brillante».

En outre, l’Italie est le seul pays d’Europe à avoir réalisé naguère certains films, tournés à Rome, dans des versions doublées en divers dialectes. La «comédie dialectale», en effet, que nous connaissons assez mal à l’étranger, était d’abord une peinture, issue du théâtre, des mœurs et des ridicules propres à certaines régions. Sous le fascisme, elle devint, par son existence même, un défi au projet centraliste du régime. Mussolini avait d’ailleurs tenté d’interdire l’emploi des dialectes à la scène. À l’écran, elle a joué un rôle de fixation tout autant que de création. Ce n’est pas un genre à proprement parler, mais un phénomène sporadique, centrifuge par rapport aux activités des studios de Cinecittà, mais qui parfois y a été intégré, comme le montrent les comédies dialectales romaines. Oscillant entre la familiarité réaliste, teintée de «gentillesse» (ainsi Poveri ma belli de Risi) et un burlesque stéréotypé (qu’incarnent les deux «idiots de village» siciliens, Franchi et Ingrassia, ou plus subtilement Lando Buzzanca), la «comédie dialectale» a fourni à la comédie italienne des thèmes, des comparses, des référents humoristiques. (Dino Risi, par exemple, glisse volontiers dans ses films des «effets» dialectaux d’accent ou de prononciation.)

On ne saurait néanmoins assigner de date de naissance à la comédie italienne moderne. Ses préfigurations se trouvent dans certaines comédies d’apparence «dialectale» (la série des Pane, amore e ... ) tournées en 1953-1955, mais aussi dans l’œuvre essentiellement populaire du prince Antonio de Curtis Gagliardi Ducas Comnene (1896-1967), authentique descendant d’empereurs byzantins plus connu sous le nom de Totò. Ce comique génial est, en effet, le véritable auteur de la plupart de ses films, où il reprenait et amplifiait les sketches qui l’avaient rendu célèbre à la scène. Disciple du «crétin sublime», Petrolini le Romain, et, par lui, de Fregoli (qui tourna quelques films comiques en 1916), Totò a transféré leur dandysme dans un registre plus proche de la quotidienneté, sans en gommer la part de démence latente. S’intitulant lui-même le «pantin désarticulé», ce Napolitain a eu la bonne fortune d’être utilisé par des cinéastes de prestige pour des apparitions «secondaires» impeccablement tenues. Pasolini en personne l’employa comme vedette d’un de ses meilleurs films (Uccellacci e uccellini ). Ce qui ramena l’attention sur lui et lui valut, à la veille de sa disparition, une consécration dont les effets durent encore.

Totò a imposé le respect d’un style de jeu et d’un type de dialogues dont les origines remontent à la commedia dell’arte. Il n’est cependant pas le seul. Dès 1934, Mario Camerini avait appelé au cinéma, pour Le Tricorne (film «historique» qui eut des ennuis avec la censure), les grands maîtres du comique napolitain Edoardo (devenu auteur dramatique de renommée européenne) et Peppino De Filippo. Or, les De Filippo, dont le professionnalisme exemplaire devait déborder le cadre de la comédie, sont les héritiers spirituels de Scarpetta (mort en 1925), recréateur du personnage de Pulcinella (Polichinelle), dont Totò s’est aussi explicitement inspiré. À cette pléiade napolitaine sont venus s’adjoindre les Romains: Macario, Aldo Fabrizi (le plus romain de tous même s’il n’avait pas eu pour ancienne partenaire, plus connue pour ses rôles dramatiques, Anna Magnani) et plus récemment Alberto Sordi, tous issus du music-hall. Quant à Vittorio Gassman, cet acteur hors de pair dans tous les registres a beau être né à Gênes, il est dans la comédie plus romain que nature, comme en témoigne Il Mattatore (L’Homme aux cent visages , 1960) de Risi. «Totò n’a jamais eu de prix et cependant Totò est un génie.» Cette déclaration du Latin Nino Manfredi suffit à montrer que la comédie, malgré ses origines dialectales, forme une unité universelle au sein du microcosme italien. Le développement du genre s’est effectué par l’intégration, dans la résurgence du rire «mécanique» et populaire qui s’est affirmée dès la chute du fascisme (en marge, pour ne pas dire à contre-courant, du «néo-réalisme»), d’éléments satiriques de plus en plus précis et vigoureux; ainsi Goldoni avait-il jadis fait accéder certains procédés de la commedia dell’arte à la dignité de la «comédie de caractères», sans cesser d’être divertissant.

L’importance des interprètes et le rôle des scénaristes

On se doute que la comédie italienne est avant tout rendue vivante par ses interprètes. Leurs types ont été décrits par Dino Risi et d’autres réalisateurs. Mais par-delà leurs différences d’origine, les «cinq grands» (Gassman, Manfredi, Mastroianni, Sordi et Tognazzi) incarnent chacun un aspect, voire plusieurs, de l’Italien. Rien de moins abstrait que cette généralisation, les Italiens de leur propre aveu ne cessant de s’interroger sur la particularité d’être italien, c’est-à-dire sur la paradoxale unité que leur confèrent leur provincialisme, leur absence de chauvinisme, le manque d’une tradition culturelle centralisée, l’irrigation opérée par des traditions culturelles latentes et, par-dessus tout, leur individualisme. (On notera que les «cinq grands» ont tous connu des succès dans des rôles dramatiques, voire tragiques, insérés ou non dans des films à prédominance «comique».) Quant aux actrices, si seule Monica Vitti doit à la comédie une seconde carrière aussi éblouissante qu’inattendue (Moi, la femme ), elles ont tenu (Sophia Loren en tête) une place importante dans la «formation» du genre avant de devenir des «stars». Telles qui servent aujourd’hui de faire-valoir, comme naguère Claudia Cardinale, seront sans doute des étoiles demain.

Les débuts du genre marquent déjà des entrelacs d’influences. Pour quelques traits de satire appuyée dans la saynète charmante de Pain, amour et fantaisie , Comencini dut certifier que l’honneur du corps des carabiniers n’était pas mis en cause. Vers la même époque, le numéro d’acteur commence à déborder la facilité de la pochade (Sordi dans Venise, la lune et toi , de Risi). Un survivant du cinéma ancien, qui s’était déjà signalé dans la comédie, lance à la fois Sophia Loren et Mastroianni, sous l’œil attendri de De Sica, et s’offre le luxe d’égaler la rigueur de Lubitsch à partir d’un thème tout italien (Blasetti, avec Dommage que tu sois une canaille , 1955).

En même temps, des scénaristes venus du théâtre populaire et des compagnies de music-hall (Fellini à ses débuts aura travaillé pour eux) «concoctent» des films à faible budget et à réalisation souvent médiocre, mais où passe un certain vent de folie, où éclate une certaine stridence, dont la comédie proprement dite bénéficiera plus tard. Bandes souvent vulgaires, où s’étalent avec franchise les obsessions, les peurs et les désirs des Italiens «moyens». Tous ces scénaristes n’ont pas la chance d’avoir pour interprète et collaborateur Totò, ni même le grand monologueur-bafouilleur Walter Chiari.

Ils travaillent souvent à deux, en équipe (tels Metz et Marchesi pour Totò, l’un signant parfois aussi la rudimentaire mise en scène). Dès la fin des années quarante, l’équipe Steno-Monicelli, débordée de travail, appelle à la rescousse des rédacteurs de journaux humoristiques, parmi lesquels Age et Scarpelli, qui formeront bientôt eux aussi un célèbre tandem. Passés à la réalisation, d’abord ensemble puis individuellement, Steno et Monicelli poursuivront une nouvelle carrière, qui, pour le second, s’écartera plus d’une fois de la comédie.

Ce qu’apportent les scénaristes à la comédie italienne au cours des années soixante, c’est une invention , que la pratique du tandem relance dans les conversations privées, pendant et après le travail (au point que Monicelli a parlé de «ping-pong intellectuel»). Mais cette invention repose sur une observation ininterrompue de la réalité, sur la notation de mille petits faits vrais et savoureux qui reparaîtront, à point nommé, dans des intrigues des plus cocasses pour les ancrer dans la réalité. Les plus énormes caricatures de certaines comédies ne reposent sur rien d’arbitraire. C’est ce qui explique le succès populaire du genre, les Italiens aimant se regarder vivre, même avec leurs défauts. Bref, plus que sur le gag au sens classique (qui intervient plutôt en hommage, çà et là, à la comédie américaine), la comédie italienne repose sur la typification des personnages (celle des comparses n’est pas moins grande que celle des vedettes) et sur la multitude de traits qui en assurent le renouvellement d’un film à l’autre. Là encore, on retrouve un héritage des méthodes de la commedia dell’arte. L’improvisation même n’est d’ailleurs pas absente du tournage de certains films. Le régionalisme ne l’est pas non plus – le cas limite et révélateur étant celui de Age, fils d’acteurs ambulants qui connaît la plupart des dialectes de la péninsule!

Recettes et problèmes de la mise en scène

La comédie italienne a suivi l’évolution générale du cinéma européen. Ce qui veut dire que les questions proprement techniques de mise en scène, de rythme, d’efficience, sinon de beauté plastique y ont pris le pas sur la simple transcription de scénarios. Les meilleures idées de scénaristes ne sont presque rien si la mise en images est déficiente: on en eut la preuve lorsque le vieux routier Pietro Germi, qui avait intégré des éléments de la «nouvelle comédie» à ses satires sociales robustes mais conventionnelles (Divorce à l’italienne , 1961, au titre significatif, et surtout Séduite et abandonnée , 1964), écrivit et produisit Mes chers amis (1975). Il mourut peu avant le tournage et Mario Monicelli filma le projet sans rien y changer: des situations excellentes, mais un dialogue pléthorique, l’absence d’invention visuelle et la lenteur d’épisodes parasitaires montrent les limites de Germi dans un «genre» qu’il n’avait pas complètement assimilé. L’ex-scénariste Ettore Scola a tenté d’orienter la comédie (Affreux, sales et méchants ) vers une dénonciation presque complaisante de la laideur et de la misère gluante. Aussi son meilleur film, Une journée particulière , n’at-il rien à voir avec la comédie, à laquelle il a donné, depuis, l’excellent Maccheroni , mais presque par hasard.

Le cas d’Alberto Lattuada est différent. Venu du cinéma «sérieux», metteur en scène prestigieux au style calligraphique dans les années cinquante, il s’est «reconverti» dans la comédie en y apportant ses obsessions personnelles, l’érotisme, notamment, même si son écriture s’est un peu empâtée. Mais les cinéastes les plus doués pour la «comédie italienne» au sens strict restent Monicelli, auteur de ce film repère que fut Le Pigeon (I Soliti Ignoti , 1958), Comencini et Risi.

Alors que Monicelli, ancien metteur en scène de quelques-uns des meilleurs Totò, et inventeur avec L’Armata Brancaleone (1966) de la comédie «transposée» (dans le Moyen Âge des héros de l’Arioste), est d’origine romaine, Risi et Comencini appartiennent à l’Italie du Nord, volontiers laïque, frondeuse à l’égard du clergé. C’est surtout en 19601961, avec La Grande Pagaille (Tutti a casa ) et À cheval sur le tigre , fondés d’ailleurs sur des sujets sérieux, que Comencini a donné sa mesure d’auteur comique. On citera plus récemment Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas? (satire du «néo-romantisme» avant la lettre). Mais l’auteur de Casanova , de L’Incompreso et de Pinocchio sait ménager des effets comiques jusque dans le drame. Quant à Risi, le succès international des Monstres (1963) a marqué le début d’une époque. Parfaitement à son aise dans la catégorie plus ancienne du «film à sketches» (Les Poupées , 1961; et surtout Vedo nudo , 1969, dont il est seul signataire), il a obliqué lui aussi vers le registre dramatique avant sa quasi-retraite.

La comédie italienne, capable d’embrasser toute l’histoire de l’Italie depuis vingt-cinq ans à travers celle de son cinéma (comme dans l’inégal Nous nous sommes tant aimés d’Ettore Scola), a subi de plein fouet la concurrence de la télévision. Ses créateurs et animateurs se sont retrouvés au complet ou presque pour Les Nouveaux Monstres (1977), film «commémoratif» qui a été un triomphe en Italie et a eu quatre cent mille spectateurs à Paris lors de sa sortie. Mais ce fut un feu de paille. Les tentatives ultimes, cyniques ou prétentieuses, pour renouveler le genre par la surenchère dans l’absurde ou le «politique» n’ont eu qu’un succès de scandale. Les plus attachants des «nouveaux cinéastes» d’origine provinciale (Pupi Avati, Francesco Nutti...) ne doivent rien à l’ancienne comédie all’italiana – à l’exception peut-être, de Nanni Moretti.

comédie italienne
nom collectif donné aux troupes ital. qui se produisirent en France de 1548 (à Lyon) à 1779, quand on les expulsa (première expulsion: 1697-1716).

Encyclopédie Universelle. 2012.

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